Médée

Metteur en scène  : Pierre-Marie Baudoin

Comédienne  : Hélène Pierre

Création en novembre 2007 au théâtre des Clochards Célestes à Lyon. Reprise en novembre 2014 au théâtre L’Avant-Seine à Colombes (92).

La Médée qui se présente devant le public est condamnée à jouer éternellement son propre rôle, telle Sisyphe, elle doit expier son forfait en le racontant éternellement au public qui est venu l’écouter et qui peut, grâce à des caméras de vidéo surveillance, l’épier dans chaque recoin du théâtre.

Sa parole ne s’arrête jamais et l’humanité est témoin du chemin qui l’a menée à commettre l’irréparable.

Cette Médée est universelle, elle est la synthèse de toutes les Médée qui ont pris vie sous la plume de tous ces auteurs qui ont nourri l’adaptation du texte scénique (Euripide, Sénèque, Apollonios, Ovide, Müller, Gaudé, Corneille), qui ont pris forme sous le regard des plus grands cinéastes (Pasolini), elle est chargée de toutes les interprétations existantes sur son histoire.

Elle nous restitue à sa façon, à mi chemin entre mythologie et modernité, son cri. Elle utilise les outils qui l’entourent et nous convoquent à la (re)mise en scène de son acte.
En assistant à sa prise de parole elle nous laisse juge de sa culpabilité.

La presse

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Noces tragiques – Par Léna Martinelli

Les Trois Coups.com

En résidence à L’Avant Seine / Théâtre de Colombes, la compagnie Théâtre DLR² de Pierre‑Marie Baudoin vient de créer « Médée ». Entièrement revisité, le mythe sanglant de cette femme éperdument amoureuse conserve toute sa puissance tragique. Un spectacle remarquable !

medee-300 dr Animé par la volonté d’accompagner de nouvelles formes scéniques, L’Avant Seine / Théâtre de Colombes a proposé une résidence de deux ans au Théâtre DLR². Un soutien qui a permis à cette jeune compagnie de poursuivre ses recherches sur la représentation de l’indicible sur scène. Après Fritz Bauer, initiateur des procès dits « d’Auschwitz » où comparurent des gardiens de camp (spectacle sélectionné au festival Impatience 2013), et avant Jimmy Savile, icône de la télévision britannique qui a fait les choux gras de la presse suite à des révélations sur son passé de pédophile, Pierre‑Marie Baudoin s’est intéressé à une grande figure de « monstre », celle de Médée, femme poussée au crime par sa passion brûlante.
Nombreux sont les auteurs et cinéastes à s’être penchés sur son cas (elle est fratricide, régicide, infanticide). Pierre‑Marie Baudoin a puisé ses sources dans cette riche production dramatique, mais également dans l’actualité et les médias, car il est attaché à un théâtre documentaire. Excitantes variations du mythe. Et cela n’est pas seulement dû aux images de mères coupables (à leur procès), voire de réfrigérateurs ! Cette adaptation inédite est d’une grande force, parce que ce personnage, synthèse de toutes les Médée qui ont traversé les siècles, est aussi très contemporain. Surtout, à chacune de ses représentations, Médée rejoue encore son histoire. Sous nos yeux, mais pas seulement…
Sous l’œil des caméras
Dans cette adaptation, Médée est en effet enfermée dans le théâtre. Coincée entre ses murs, contrainte à jouer éternellement son propre rôle, comme pour expier son forfait, elle semble condamnée à ne jamais oublier la tragédie de sa vie. Le théâtre, c’est encore le seul lieu où Médée peut restituer son histoire. Alors, elle raconte comment, abandonnée par Jason, expulsée de Corinthe, celle qui a tué ses parents pour suivre son amour, a dû subir la douleur d’un exil affectif et social. Elle représente à nouveau devant nous sa vengeance : le meurtre de ses enfants. Nous laissant juges de sa culpabilité, elle explore ce refuge devenu prison. Des projections vidéo ponctuent la narration. Grâce à des caméras de surveillance, on y voit Médée, solitaire, se préparer dans les loges et déambuler dans tout le théâtre.
Mais, de son anéantissement, elle tire la force surhumaine de se révolter. Sur scène, grâce à la puissance magique des mots et des gestes, Médée transforme sa répudiation en noces tragiques : elle se reconstruit devant nos yeux, accouche d’elle-même jusqu’à se changer en sombre divinité, une déesse de la race des femmes. Et Médée devient presque familière.
Mise en abyme
Le Théâtre DLR² inclut les spectateurs dans un dispositif scénique adapté. Ici, la scénographie dévoile les processus de création à l’œuvre. La résidence a justement permis à Pierre‑Marie Baudoin d’exploiter le moindre recoin du théâtre. Dès lors, non seulement Médée hante littéralement le lieu, mais elle est en représentation. Cet artifice n’est pas dissimulé. Au contraire, il est aussi important que la fable. La mise en scène laisse apparaître le travail de l’actrice qui joue le personnage, utilisant tous les outils qui l’entourent pour nous convoquer à la (re) mise en scène de son acte. Avec la vidéo, le public, voyeur, l’épie jusque dans les coulisses. Ainsi, l’assistance est complice de cet exercice de simulation. Du coup, l’on comprend mieux les rouages de cette folie dévastatrice.
Adaptation remarquable, mise en scène très réussie, scénographie intelligente, il faut également relever l’interprétation d’Hélène Pierre, qui restitue, tout en nuances, la souffrance et l’exaltation de cette femme. Elle nous tient en haleine de bout en bout, que ce soit à l’image ou sur le plateau, sans jamais en faire des tonnes. Et c’est un des risques avec ce personnage. À mi-chemin entre mythologie et modernité, son ultime cri d’amour résonnera longtemps en nous et… à L’Avant Seine.
Léna Martinelli